L'abandon des esclaves

Deux documents d’archives, le récit de Kéraudic, l’écrivain de l’Utile, et un texte imprimé de colportage édité dans les années suivant le naufrage, éclairent les semaines de vie de l’équipage sur l’île déserte. Les fouilles archéologiques, aux résultats limités pour cette période, ont permis de corroborer les recherches historiques.

Les rescapés

Parmi les marins et les passagers français de l’Utile, cent vingt-trois parviennent à atteindre la plage, dix-huit se sont noyés. Quant aux esclaves, ils périssent en grand nombre (environ soixante-douze décès), car, au moment du naufrage, ils sont parqués dans la cale fermée par des panneaux cloués. Ils ne peuvent s’échapper qu’une fois la coque de l’Utile disloquée.

L’eau potable

L’eau potable

Première page du récit de Kéraudic, l'écrivain de bord.

La tâche la plus urgente consiste à trouver de l’eau potable en creusant un puits. Après une tentative infructueuse, une « liqueur épaisse et blanche comme du lait », mélange d’eau douce et d’eau salée, est découverte par 5 mètres de profondeur dans la soirée du 3 août. En trois jours de privations, une trentaine de Malgaches sont morts. Aucun Français.

Organiser la survie et reprendre la mer

Organiser la survie et reprendre la mer

Vue des canons et de l'ancre échoués sur la plage.

La mer rejette sur la plage des ustensiles et des aliments issus de l’épave que les rescapés récupèrent pour organiser leur survie. Ils exploitent également les maigres ressources de l’île, particulièrement les œufs des oiseaux qui y nichent en grand nombre et les tortues. Les marins cherchent, en outre, à extraire de l’épave les matériaux nécessaires à la construction d’une embarcation de fortune pour rallier Madagascar. C’est le premier lieutenant de l’Utile, Castellan du Vernet, qui en dessine le plan. Il constate vite qu’aucune pièce de charpente suffisamment longue n’a pu être récupérée pour fabriquer un bateau à même de transporter tous les survivants…

La Providence

Baptisée la Providence, l’embarcation est mise à l’eau le 27 septembre 1761, avec à son bord cent vingt-et-un marins « rangés comme des sardines ». Entre 60 et 80 Malgaches survivants sont abandonnés sur l’île avec trois mois de vivres et la promesse de Castellan de venir les chercher. La Providence atteint Madagascar après quatre jours de mer. Dans les semaines qui suivent, l’équipage rejoint Port-Louis (Maurice) ; s’il recueille les rescapés, le gouverneur Desforges-Boucher refuse en revanche d’envoyer un navire pour porter secours aux Malgaches.

L’oubli

Les années passent et l’indignation première suscitée par la décision de Desforges-Boucher s’estompe. La Compagnie des Indes, durement affectée par la guerre de Sept Ans, est suspendue en 1769 et perd son monopole. L’administration des îles des Mascareignes, jusqu’alors aux mains de la Compagnie, est exercée par le pouvoir royal dès 1766. En 1772, tourmenté par sa promesse non tenue, Castellan écrit au secrétaire d’État à la Marine pour appeler au sauvetage des Malgaches.

Le sauvetage par Tromelin

Le sauvetage par Tromelin

Le sauvetage des derniers survivants. Le 29 novembre 1776, l'enseigne du vaisseau de tromelin, à bord de La Dauphine supervise l’embarquement des sept rescapés et du bébé.

Le ministre accède à la demande de Castellan et des secours sont envoyés en août 1775, puis par deux fois l’année suivante, sans qu’il soit jamais possible d’aborder. Finalement, fin novembre 1776, la Dauphine, une corvette commandée par l’enseigne de vaisseau Jacques-Marie Lanuguy de Tromelin, parvient à envoyer une chaloupe et une pirogue sur l’île de Sable. Sept femmes et un enfant de huit mois sont récupérés et ramenés à Port-Louis, après quinze années d’attente. Au XIXe siècle, l’île de Sable est rebaptisée du nom de Tromelin.