De Bayonne à l'île de Sable

Construit et armé à Bayonne, l’Utile appareille pour l’île de France (aujourd’hui Maurice) en novembre 1760. Le navire appartient à la Compagnie française des Indes orientales : créée en 1664 par Colbert, elle dispose du monopole du commerce vers l’Afrique, l’océan Indien et les Indes. Les Mascareignes, ce groupe d’îles du sud-ouest de l’océan Indien comprenant notamment Maurice et La Réunion, ont été colonisées par la France entre la fin du XVIIe et le XVIIIe siècles. Elles représentent une étape indispensable sur la route des Indes et de la Chine.

Un navire de la Compagnie des Indes

Flûte ou bâtiment de charge de 800 tonneaux, l’Utile est construit pour la Marine Royale à Bayonne, puis acheté par la Compagnie française des Indes orientales pendant la guerre de Sept Ans, conflit qui oppose la France à l’Angleterre de 1756 à 1763. Le 17 novembre 1760, l’Utile lève l’ancre pour l’île de France, qu’il atteint le 12 avril 1761 après 147 jours de navigation.

Fraude à Madagascar

Dans l’océan Indien, le commerce des esclaves en provenance du Mozambique et de Madagascar alimente en main d’œuvre les plantations coloniales des Mascareignes. Quand, le 27 juin 1761, l’Utile est envoyé à Madagascar pour en ramener des vivres (riz et bœufs), son capitaine Jean de La Fargue a néanmoins interdiction d’y acheter des esclaves comme c’est l’usage. L’Utile n’est pas un navire négrier, mais un bâtiment de transport classique destiné à apporter aux colonies produits et matériaux de la métropole, avant d’y retourner avec une cargaison de produits coloniaux, tels que du café ou du sucre. Bénéficiant de complicités multiples, La Fargue embarque pourtant près de 160 esclaves malgaches, qu’il compte débarquer sur l’île Rodrigues. Quand il quitte Madagascar, le bateau ne suit donc pas la route habituelle vers l’île de France, mais navigue au nord, passant à proximité de l’île de Sable…

Basse sur l’eau

Basse sur l’eau

Détail de la carte sur laquelle l’île de Sable, ici nommée « Islot de Sable », est représentée pour la première fois. On relève cependant une erreur concernant la date de découverte, qui est 1722 et non pas 1723.

Découverte en 1722 et représentée pour la première fois sur une carte en 1739, l’île de Sable constitue un minuscule récif situé à près de 500 km de la terre la plus proche. Entre sa découverte et 1761, il semble bien que personne n’ait revu l’île tant elle est basse sur l’eau. Sa localisation reste donc approximative. Dans la nuit du 31 juillet 1761, l’Utile s’y échoue.

Le naufrage

Le naufrage

Ancre dont une patte émerge en bord de plagematérialise le lieu du naufrage. au second plan, le Marion dufresne, navire ravitailleur des TAAF.

Des erreurs d’observation et l’imprudence du capitaine, qui décide de naviguer de nuit malgré les mises en garde de son premier pilote, expliquent pour partie le naufrage. Heurtant le récif de corail au nord-ouest, la flûte se retrouve immobilisée au milieu des déferlantes. Le gouvernail est arraché, la coque se délie, les ponts s’effondrent, le navire se brise.

La mécanique du naufrage

La mécanique du naufrage

Plongeur sous-marin faisant des relevés.

Si les archives, notamment le récit attribué à l’écrivain du bord, permettent de retracer les étapes du naufrage, les fouilles sous-marines conduites en 2006 ont apporté de nombreuses informations complémentaires. Les vestiges de l’épave de l’Utile ont été localisés depuis le rivage jusqu’à une centaine de mètres au large de l’île, mais seuls les équipements lourds (artillerie, ancres, lest) ont résisté à la violence des vagues et au passage des cyclones. Aucun élément de la coque ni du gréement n’a subsisté. Quelques petits objets piégés dans une anfractuosité du corail ont néanmoins été découverts (boulets, balles de fusil), ainsi que des fragments de bronze qui ont permis de reconstituer la cloche du bord. Près de 120 plongées ont été nécessaires aux archéologues pour dresser le plan du site sous-marin. La répartition des vestiges offre de précieux renseignements sur les derniers moments de l’Utile et a permis de reconstituer la mécanique du naufrage.