Les archéologues de l'Inrap ont fouillé un four de potier en briques et tuileaux avec sa fosse de travail contenant les nombreux rebuts de cuisson d’une fabrique en terre rouge, ainsi que les témoins d’une production de grès jusque-là inconnue dans le Nord-Pas-de-Calais.

Dernière modification
02 mai 2024

Le site de Montreuil constitue un promontoire crayeux individualisé entre deux vallons à une altitude d’environ 50 m face à la vallée de la Canche. Cette place du Ponthieu est sous domination comtale au début du Xe s. et entre dans le domaine royal d’Hugues Capet en 987. La ville prospère sous le règne de Philippe Auguste avec la mise en place d’une ceinture de remparts et du château dominant le port de la Canche, premier débouché maritime du royaume jusqu’en 1204. Au XIIIe s., le commerce florissant issu de l’activité du drap entraîne à l’ouest et au sud la création d’une grande place de marché englobant le quartier du Thorin où se situe la présente fouille. Le principal intérêt de celle-ci concerne l’environnement d’un four de potier construit en briques et tuileaux avec sa fosse de travail contenant les nombreux rebuts de cuisson d’une fabrique en terre rouge (pots, tèles, marmites) mais également les témoins manifestes d’une production de grès à base de gourdes, cruches et cruchons, datée de la seconde moitié du XVIe s. au début du XVIIe s. La découverte est inédite puisqu’aucun atelier de grès n’était jusque-là connu dans le Nord-Pas-de-Calais, voire les Hauts-de-France.

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Vue drone du chantier de Montreuil-sur-Mer, fin 2023.

© F. Auduit, Inrap

Les organes d’une unité de production potière du XVIe s.

Le quartier de la rue du Thorin à Montreuil-sur-Mer est connu depuis le Moyen Âge jusqu’à l’Époque moderne par une production potière révélée par l’archéologie. Ce secteur est englobé dans l’enceinte médiévale établie vers le milieu du XIIIe s. avec une tour dite « tour des Potiers » située à moins de 50 m du site fouillé. Les traces de fabrication de céramiques au XVe s. ont été observées lors du diagnostic sous la forme d’un épandage d’argile cuite (paroi de four) au-dessus d’une couche de rebuts de cuisson caractérisés par une abondance de pots avec bord en bandeau.

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Four principal.

© J.-C. Routier, Inrap

L’atelier se caractérise par l’utilisation du four principal et de sa fosse de travail ayant servi d’espace de rejet en fin d’activité. Cette fosse excavée et profonde de 2 m est protégée côté nord par une paroi de moellons calcaires inclinée (long 8 m, haut 1,50 m) dotée d’un renfort saillant en grès dont seule subsiste une pierre en place. La zone de cuisson proprement dite est bordée par une cavette (2 m x 2 m) associée à un bâtiment rectangulaire sur fondation calcaire (8 m x 4 m) dont les extrémités est et ouest sont reliées à la fosse de travail par deux fondations de clôture formant un périmètre clos à cette unité de production artisanale probablement couverte d’après quelques trous de poteaux attestés ici et là.

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Paroi de protection de la fosse de travail.

© J.-C. Routier, Inrap

 

Un premier four non fonctionnel ayant servi de dépotoir

La fouille a mis au jour l’enveloppe d’un four de petite dimension (2 m x 1,50 m), plus ancien car tronqué à ses extrémités par une fondation à l’ouest et la mise en place d’une des maçonnerie d’angle du four principal à l’est. La construction de ce four montre une alternance de briques et de rangs de carreaux de terre cuite d’un côté et une base de blocs de grès de l’autre. Il n’a pas fonctionné car aucune trace de cuisson ou de rubéfaction n’est constatée et a servi de dépotoir comme l’attestent la masse des matériaux (briques, tuiles, carreaux) et trois poteries presque complètes retrouvées dans son remplissage et semblables sur le plan typologique à celles trouvées dans le four principal.

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Petit four découvert en fouille.

© J.-C. Routier, Inrap

Deux états du four et une production en terre rouge

Le four principal a une forme en amande (4,5 m x 2,5 m) ; l’alandier est prolongé par deux carnaux périphériques surmontés d’arcatures en tuileaux, au nombre de huit d’après le nombre d’amorces encore visibles, réparties quatre d’un côté et quatre de l’autre. Les parois basses du foyer sont entièrement faites en briques tandis que le reste de l’élévation du laboratoire (ou chambre de cuisson) est en majeure partie construite en tuileaux. Le démontage du four a montré deux phases d’élaboration dans son utilisation.

Dans un premier temps, l’extrémité du four est semi circulaire (en cul-de-four) avec une paroi en briques vitrifiée et un pilier central en briques conforté en latéral par des plaques de terre cuite au-dessus d’un niveau de sol induré (bloc calcaire inséré). L’emplacement d’arcades détruites du voûtement est visible dans la paroi. Cette zone du foyer a fortement chauffé d’après l’aspect violacé et vitrifié de la structure.

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Four principal en démontage.

© F. Auduit, Inrap

Dans un second temps, l’extrémité du four a été remplie de matériaux (briques, carreaux) disposés avec soin sur au moins 1,50 m de longueur et un rehaussement de plusieurs dizaines de centimètres pour la nouvelle sole. Les matériaux employés lors de la reprise ne portent pas la coloration violacée d’une surchauffe ou montée de température. La structure de l’alandier à l’ouest n’a apparemment pas subi de modification à l’exception d’un fort apport d’argile grise compacte homogène dans le couloir d’entrée des carneaux.

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Amas de poteries dans le four principal.

©J.-C. Routier, Inrap

Les tessons de céramique et les poteries recueillies quasi complètes in situ dans le comblement d’effondrement du four révèlent une production en terre rouge pour la préparation et de cuisson (tèles, poêlons, marmites tripodes) mais également une vaisselle de table (pichets, pots).

Une fosse de travail avec les rebuts d’un atelier de grès

La fosse de travail excavée en avant de l’alandier (4 m x 2 m) a livré les très nombreux rebuts de cuisson en terre rouge comme dans le four (pots ansés, tèles, cruches, marmites, écuelles, couvercles) et surtout les rejets d’une fabrique de grès à base de contenants portatifs (gourdes et cruches simples ou à passants, cruchons). La proportion des grès atteint 45% du total de la collecte. Vu les spécificités inhérentes à la cuisson du grès et l’absence de grès dans le four même, il n’est pas dit que des rebuts recueillis dans la fosse de travail proviennent nécessairement du four installé à proximité. Les déformations des fragments sont manifestes et certains stigmates indiquent la disposition des éléments au moment de la fournée. Quelques gourdes portent un décor sur panse : des pastilles d’argile estampées ou des lignes incisées au peigne ; les poinçons représentent une rouelle à 8 branches ou une croix ponctuée de 4 points. Ce type de décor a été observé dans la région, preuve d’une diffusion de cette production grésée à l’échelle locale.

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Décor sur grès.

© V. Vincent, Inrap

Cet atelier de grès revêt un caractère inédit, les plus proches se situant dans le Beauvaisis (Oise), en Haute-Normandie (pays de Bray, en Seine-Maritime) et Basse-Normandie (Calvados, Manche), ou encore les grès importés depuis les pays rhénans (Raeren, Langerwehe, Siegburg) au XVIe siècle.

Une trouvaille originale :  scène de piéta gravée sur un bloc calcaire

La pierre a été recueillie dans le comblement supérieur du dépotoir déversé dans la fosse de travail près du four principal. Il s’agirait d’un moule de plaque ou d’enseigne religieuse si l’on en juge par le canal d’écoulement périphérique entourant le motif en forme de blason. On y distingue clairement un personnage voilé (Marie ?) présentant un Jésus chevelu dans une position horizontale.

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Scène de piéta sur bloc calcaire.

© J.-C. Routier, Inrap

 

Une stratigraphie d’occupation sur plusieurs siècles (XIIIe -XVIIIe s.)

Les niveaux médiévaux ont été étudiés entre 3 et 5 m de profondeur dans les limites de la fouille. La première activité sur les lieux est une extraction de sable roux naturel dès le XIIe s. d’après le mobilier céramique recueilli dans plusieurs fosses disposées en batterie à l’est du chantier. Une profonde fosse d’extraction a été explorée dans la partie ouest du chantier lors du curage final du site. Le terrain est ensuite investi par un habitat du bas Moyen Age sous forme de plusieurs fondations à solins de craie ou de silex délimitant des espaces clos, des pièces ou maisons de plan rectangulaire ; un abondant matériel céramique de cette phase d’occupation date du XVe siècle.

Un épais niveau cendreux bien marqué en stratigraphie scelle l’abandon du bâti médiéval : ce pourrait être l’incendie de la ville occasionné par le siège de Montreuil par les Espagnols en 1537 (mise au jour de quelques boulets de canon de différents calibres). Le bâtiment allongé qui succède à cet événement fait partie du dispositif de l’atelier potier décrit ci-dessus. Cette construction est remplacée au XVIIe s. par un autre bâtiment avec un tracé de murs concordant avec les fondations du bâtiment précédent. Les niveaux de préparation de sols relatifs sont constitués d’une argile ou glaise compacte pour asseoir du pavement à tomettes rouges incluant quelques fragments de carreaux funéraires historiés et glaçurés caractéristiques du secteur montreuillois. Au XVIIIe s., un nouveau bâti fige le parcellaire conservé sur le plan Varlet (1781-85), document précieux composé de six feuillets et reflet du parcellaire de Montreuil à la veille de la Révolution.

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Carreau funéraire.

© J.-C. Routier, Inrap

Aménagement : société SIGLA NEUF
Contrôle scientifique : Service Régional de l’archéologie (Drac Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Jean-Claude Routier, Inrap