Conservateur en chef du patrimoine, directeur scientifique et technique de l'Inrap et co-directeur de l'Atlas archéologique de la France (Tallandier/Inrap), Marc Bouiron revient sur le travail de géo-référencement des données scientifiques qui a permis une nouvelle mise à l'échelle de la France archéologique.

Dernière modification
15 janvier 2024

L'Inrap a déjà publié plusieurs ouvrages à destination du grand public sur l'archéologie préventive en France. Pourquoi un Atlas ? Qu'est-ce que l'on raconte différemment au travers de cartes ?

Marc Bouiron

Marc Bouiron : L’archéologue travaille de manière habituelle avec des représentations du territoire, quelle qu’en soit l’échelle. Sur une fouille, il représente en plan, par divers procédés, le relevé des différents éléments retrouvés : des maçonneries, du mobilier archéologique, des limites de sédiment… À l’échelle d’un site, il délimite les structures archéologiques et les rend intelligibles dans l’espace de la fouille, voire au-delà : des bâtiments appartenant à une villa gallo-romaine, un enclos néolithique, etc. Et s’il regarde encore plus loin, il inscrit ces découvertes dans un paysage : une colline, une vallée, un cours d’eau (dont le tracé a pu évoluer suivant les époques)? etc. Le passage à une échelle encore plus petite, l’ensemble de la France, n’est donc que la suite logique.

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CHEVILLY, Pièces de Chameul , fouille d'un fossé à la pelle et relevé des coupes

© Inrap

Cependant, ce travail à l’échelle de notre pays se heurte à une difficulté principale : le nombre de données à appréhender. La masse d’information est telle que personne n’avait entrepris ce travail cartographique d’envergure. L’Inrap, en tant qu’établissement travaillant sur l’ensemble du territoire national (y compris les territoires ultramarins des Antilles-Guyane et de l’Océan Indien), dispose de ressources en personnel et en structuration des données qui permettaient de réaliser une cartographie de notre espace géographique, pour toutes les périodes de l'occupation de ce dernier par l’Homme.


Plus on dézoome, plus on observe les phénomènes généraux. Le cas particulier (une fouille donnée) est toujours intéressant : on sait ainsi qu’en tel lieu, telle occupation a été inscrite dans le paysage, dans une période et une durée délimitée. Mais regarder l’histoire de notre pays dans son ensemble met en évidence les grandes tendances historiques. Et par historique, j’entends aussi préhistorique puisque, par exemple, la néolithisation de notre territoire (c’est-à-dire, pour simplifier, le passage à l’agriculture et à l’élevage) s’appréhende plus facilement à cette échelle.


Comment fait-on un atlas ? En quoi ce travail diffère-t-il de celui d'un livre en général ?

Marc Bouiron : Réaliser un atlas est un exercice des plus difficiles. Pour résumer, il faut deux choses : des données (périodisées, thématisées, organisées…) et une personne capable de les représenter sur une carte. L’Inrap possédait une grande partie des données utilisables, le reste étant accessible par le biais de publications ou de chercheurs. La personne capable de les représenter a été Aurélie Boissière, dont le remarquable travail de cartographie a donné vie à ces informations.
Nous disposions de données « propres » mais qui n’étaient pas géoréférencées au départ. Le plus lourd travail, que j’ai pris en charge en préalable, a donc été de rendre ces données compatibles pour la cartographe.


Quels types de sources géo-cartographiques avez-vous utilisées ? Vous basez-vous principalement sur des fouilles de l'Inrap ? 

Marc Bouiron : La base de départ de notre atlas a été le recensement organisé sous forme de base de données des rapports d’opération de l’Inrap. En effet, toute opération réalisée dans le cadre de l’archéologie préventive donne lieu à un rapport (de diagnostic ou de fouille) dont la remise clôt, d’un point de vue administratif, la prescription émise par le service régional de l’archéologie (DRAC). Notre base de données, DOLIA, est administrée au niveau central mais remplie par tous les documentalistes en postes dans les différentes directions territoriales de l’Inrap. C’est donc une source de données particulièrement fiable mais qui présente la particularité d’être un outil de documentaliste.

Le premier travail a consisté à obtenir une liste au format Excel des enregistrements contenus dans DOLIA (tous les sites ayant fait l’objet d’un rapport par l’Inrap), et d’en faire une vérification totale. J’ai donc vérifié et corrigé les 35 000 lignes du tableau, pour que le nom de la commune soit exact, en associant le code INSEE. Dans un second temps, j’ai ajouté les coordonnées géographiques des communes. Le tout a été importé dans un Système d’information géographique (SIG), sous QGIS, permettant d’obtenir des points au centroïde de la commune.

Enfin, dernier long travail mais qui était indispensable pour alimenter chaque auteur dans les thématiques qu’ils avaient choisies, j’ai réalisé des tris par période et par mot-clef, ce que permettait l’indexation très précise des documentalistes dans DOLIA. Cela m’a permis de donner à chaque auteur des fonds de plan contenant les sites par période, décliné ensuite par thème. Les auteurs ont, sur cette base-là, pu enrichir les cartes avec des données extérieures à l’Inrap dont ils avaient connaissance. L’ensemble a servi à la cartographe à dessiner des cartes enrichies.

Il restait un dernier travail à réaliser pour créer les cartes d’ouverture de chaque période : au-delà de la masse de sites archéologiques, il fallait inclure un fond de plan « historique » à la fois très large (à l’échelle de l’Europe par exemple) et un second centré sur la France. Un gros travail a été accompli pour inclure, sur le SIG, des contours cohérents d’une période à l’autre. L’un des fonds de plan le plus difficile concerne la limite des cités de la Gaule romaine : il n’existait à ce jour pas de cartographie précise à l’échelle de la France, tenant compte de l’ensemble des données littéraires, épigraphiques ou archéologiques. Il a donc fallu créer un nouveau document et le vérifier avec les publications dont on disposait. Ce travail fait, il a servi pour recaler les diocèses du Haut Moyen Âge et ceux ultérieurs, ou pour localiser les peuples gaulois de la période précédente. L’aide de Gaël Léon, archéologue à l'Inrap, a été déterminante pour la saisie des données sur le SIG.

Seule la Préhistoire n’a pu être traitée ainsi, les données étant très différentes et dépendant largement de travaux issus de chercheurs extérieurs à l’Inrap.

Atlas 2

Climat, paysage et faune durant le dernier maximum glaciaire, il y a 21 000 ans.

© Aurélie Boissière/Tallandier/Inrap


Une fois les cartes en main, après deux ans et demi de travail, qu'est-ce qui vous a surpris ?

Marc Bouiron : Nous avons fait quasiment trois versions pour chacune des cartes. Ce qui est extraordinaire avec le travail de la cartographe, c’est sa capacité à représenter des niveaux d’information très différents avec une sémiologie adaptée. Alors que nous avions l’impression à chaque fois d’avoir fourni des données suffisantes, on observait encore des manques. Ce travail d’amélioration successive a été finalement le garant de la meilleure qualité possible des cartes.

Les cartes que vous avez produites ne révèlent-elles pas des vides ou des blancs à certaines périodes ? Qu'est-ce que ces vides nous disent des périodes passées et cela a-t-il de l'intérêt pour le futur de l'archéologie ?

Marc Bouiron : Les cartes sont le reflet de l’activité de l’archéologie en général, et de l’archéologie préventive en particulier. Les cartes de l’atlas sont donc aussi le reflet indirect de l’aménagement du territoire, fait générateur de l’archéologie préventive. On peut y voir un biais mais pour ma part je renverserai le regard pour montrer l’immense apport des zones fouillées à la connaissance historique de la France. Toutes les périodes sont tributaires de ces fenêtres ouvertes sur l’histoire et l’avenir sera très certainement l’occasion de connaître ces espaces aujourd’hui non concernés par les travaux de construction.

illustration Guyane

Fouille d'une occupation du XIVe au XVIIIe s. à Sainte-Agathe (Guyane).

© Inrap